SOL & CLIMAT : l’eau dans le sol, comment ça marche ?

Dans ce quatrième et dernier volet de la série « Sols et climat », Isabelle Cousin, directrice de recherches à l’INRAE et directrice adjointe de l’Unité de recherche Info&Sols à Orléans, nous remet les pendules à l’heure. Dans les médias, sol égal eau, s’il est plein de vers de terre. « C’est faux, car le réservoir utilisable en eau (RU), qui est un peu comme le réservoir d’essence d’une auto, dépend d’un certain nombre de paramètres, et pas vraiment de la matière organique. » Le sol. Comme une éponge, il est surtout question de trous, petits et gros. L’image n’est pas réductrice : « ce qui fait qu’un sol retient l’eau, c’est qu’il dispose d’une capacité à la retenir qu’on appelle le réservoir utilisable en eau, qui est défini par la quantité de trous qu’il y a dans le sol. » Le RU c’est le volume cumulé des pores présents dans le sol, qui va permettre à l’eau d’être stockée. « Dans les petits trous !» Mais pour que l’eau y parvienne et y circule, il lui faut s’infiltrer… par les gros trous. « Dans un sol, on a besoin des deux. » Les petits pores sont les réservoirs et les gros pores les tuyaux.

PETITE INTRODUCTION DU SUJET :

5 minutes pour essayer de comprendre.

Pores profonds

Se joue là-dedans, dans l’éponge comme dans le sol, une démonstration de physique. La force de gravité, nous la connaissons tous. Mais la capillarité ? C’est elle qui fait monter l’eau dans le papier absorbant que vous disposez à la verticale sur une assiette pleine. Ou dans le mur de la cuisine taché d’humidité à cause de l’eau qui remonte par les murs depuis la cave. Bref, la capillarité est l’inverse de la gravité, elle s’y oppose. « Les forces de gravité qui attirent l’eau vers le sol et les forces de capillarité, celles qui retiennent l’eau, s’équilibrent. Lorsque le sol est saturé en eau, l’eau percole à sa base, elle s’écoule alors par les grands pores, et s’en va rejoindre des horizons plus profonds, vers les nappes phréatiques. » La gravité l’emporte. Jusqu’à ce que les forces de capillarité parviennent à l’équilibrer. Ce moment particulier, bien connu des agriculteurs, correspond à la capacité au champ. Dénommée HU par les chercheurs, elle désigne la contenance maximale du sol en eau, mesurée généralement deux ou trois jours après une pluie ou une irrigation, avant la croissance des plantes. « Prenez une éponge pleine d’eau, tordez-la, le surplus en sort, ce qui en reste, c’est la capacité au champ. » Isabelle Cousin joue avec ses mains. « Maintenant, appuyez un peu : une petite quantité d’eau est extraite. Eh bien, c’est comme si vous étiez une plante et que vous exerciez une succion. » Les plantes exercent une pression négative, une force de succion, afin de détacher l’eau contenue dans les petits pores du sol. La montée de sève. À force, il lui faut exercer plus de… force pour extraire l’eau qui se fait plus rare. « Il arrive un moment où la force que la plante devrait exercer ne suffit plus à aller chercher de l’eau. On arrive alors au point de flétrissement permanent. » L’éponge a tellement été essorée qu’il n’en sort plus rien ! Entre point de flétrissement et capacité au champ se trouve justement le réservoir utilisable en eau.

Pour autant, prévient Isabelle Cousin, un sol sec ne l’est pas totalement : « il y reste toujours de l’eau, mais cette eau est dite de l’eau liée. C’est de l’eau qui est inaccessible aux plantes, » en particulier celle qui est contenue dans les plus petits trous, où les forces de capillarité sont les plus fortes. Conclusion : si la plante meurt de soif, ce n’est pas faute d’eau, mais à cause de son inaccessibilité. Elle n’a qu’à sucer les cailloux ! Isabelle Cousin répond oui, car, les viticulteurs ont raison de le dire comme cela, les plantes peuvent aller chercher de l’eau là où on ne l’imagine pas, la roche. « Les racines peuvent s’infiltrer dans des anfractuosités et aller y pomper de l’eau. Mais sans aller jusque-là, dans certaines terres caillouteuses, les cailloux, qui sont des fragments de roche, retiennent de l’eau et, en général, ils la retiennent avec des pores de petite taille ! » Encore eux. « Au moment où la terre fine qui les environne se retrouve complètement vidée de son eau, l’eau peut sortir des pierres. » De quoi affronter une sécheresse.

Il faut plein de trous, et aussi de l’épaisseur. « La taille du réservoir compte beaucoup. Plus il est épais, profond, et plus il peut potentiellement stocker de l’eau. Les sols montagnards ne sont pas gagnants à ce petit jeu-là, » car les sols tout là-haut ne font parfois que quelques centimètres. Ailleurs, la faible épaisseur peut-être compensée par la présence de nappes phréatiques.

une vie secondaire

Résumons. L’eau dans le sol est fonction de la porosité, donc de la nature du sol, de son épaisseur, de son contenu en cailloux. La matière organique ne sert donc à rien ? « Le réservoir utilisable, c’est la différence de teneur en eau entre la capacité au champ et le point de flétrissement permanent. Quand on rajoute de la matière organique, on déplace juste un petit peu ces deux paramètres, mais pas le différentiel entre eux deux. » Rien ne change, sauf sur les sols sableux pauvres en matières organiques où l’ajout de celles-ci augmente le différentiel et donc, le réservoir utilisable en eau. Pour autant, la matière organique agit d’une autre manière : « lorsque les racines et l’activité de la faune se développent, il y a de plus en plus de galeries, qui permettent une meilleure infiltration de l’eau. Le fait qu’il y ait plus de mycorhizes va aussi permettre de rapporter plus d’eau aux plantes. » Autre effet, en surface le couvert végétal casse les gouttes, qui perdent ainsi en énergie jusqu’à pouvoir s’infiltrer, et fait de l’ombre, qui limite l’évaporation de l’eau. On comprend que l’agroécologie n’est pas mauvaise pour accroître le RU.

surtout, ne pas tasser

Comment s’assurer d’avoir toujours le réservoir bien rempli ? La question est existentielle chez les agriculteurs. « Il leur faut déjà faire en sorte qu’il ne se vide pas, le réservoir !» Pour cela, l’exploiter dans toute épaisseur, ce qui ne veut pas dire le labourer en profondeur : « le labour va créer des ports de grande taille, il peut donc favoriser l’infiltration, mais cela ne va pas augmenter significativement la taille du réservoir, » qui est l’addition de celle des petits trous. Restons en surface, semble dire Isabelle Cousin, et autant que faire se peut, privilégions « des cultures qui vont s’enraciner profondément, qui vont structurer le sol, » et des intercultures peuplées de plantes de types et de profondeurs d’enracinement différents. Restons donc en surface mais pas trop longtemps, car le poids des engins tasse le sol ce qui a un effet presque complémentaire à celui du labour, et finalement antagoniste : « avec un sol tassé, on ne diminue pas le RU, parce que lorsqu’on tasse, on fait des ports de plus petite taille, on peut donc stocker plus d’eau ! Mais quand on tasse, on enlève aussi les gros trous et donc, on ne permet plus à l’eau de s’infiltrer correctement et en définitive, la quantité d’eau disponible est plus faible. » Et à force de durcir, le sol devient aussi étanche que du macadam, l’eau de pluie y arrache des particules, crée des rigoles, et le sol part en érosion.

Quoi que l’on fasse, il est temps de donner du temps aux sols pour qu’ils gardent l’eau. Parce qu’ils vont souffrir du changement climatique, ils deviennent de plus en plus secs. Vraiment sec : troisième visage de la sécheresse après l’hydrologique (les cours d’eau tarissent), la météorologique (il ne pleut plus), la sécheresse dite édaphique va s’intensifier. « J’ai des chiffres pour ma région Centre. Les projections de Météo France montrent, dans un horizon dit proche 2021-2050 ou lointain – 2071-2100, que les périodes de sol dits secs, c’est-à-dire où l’état de remplissage du réservoir du sol va s’allonger de 2 à 4 mois. En contrepartie, les périodes dites de sol humide vont se réduire de 2 à 4 mois ! Moyennant quoi, en 2100, les humidités moyennes du sol seront équivalentes aux situations de sécheresse extrêmes d’aujourd’hui. »