S’adapter au sec

Article sur la sécheresse en une de Marianne n°1326

Pour l’écologie, il faut consommer le moins possible en prélevant au maximum dans la nature.

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La France a peur, car elle a pris une claque. Elle en a encore la joue brûlante. Désormais, la saison des incendies, c’est presque toute l’année, sur presque tout le territoire. Celle de la canicule démarre au printemps. Début août, dans les Hautes-Alpes, au terminus du téléphérique qui regarde la Meije, à 3 200 m d’altitude, le préposé à la Grotte de Glace regarde une cordée de touristes cramponnés au glacier de la Girose. La glace est grise, ridée comme le serait un maçon centenaire. Elle coule et cela s’entend. « Ça fond de 10 cm par jour avec ce temps-là. Je suis en t-shirt, quand j’étais petit, on avait froid. Là où on est, il y a vingt ans, c’était sous la glace. » On est dans un creux, ce qui permet d’envisager qu’au début du siècle, il y eût bien ici une bonne dizaine de mètres de glace supplémentaire.

Que faire ? Une idée défile sous les pieds lorsqu’on grimpe vers la Croix de Chamrousse, en Isère. Dans la télécabine qui s’arrête à 2 250 m d’altitude, Franck Sgambato, le prof de VTT de descente admet les choses : « Cela fait trente ans que je bosse ici ; sans les retenues deau, il ny aurait presque plus de neige aujourdhui. » À la descente, le VTTiste peut passer son temps à compter les rampes de pulvérisation. À l’arrivée, il est couvert de poussière. « La terre est sèche, cest du sable, on est en août, il na pas plus depuis bientôt trois mois. »

Les retenues d’eau. Le nouveau débat manichéen, dont la France a le secret. Nicolas Cestrières produit des céréales à paille sur 225 hectares à Péchaudier dans le Tarn. En bio, et même, en conservation des sols. Il coche toutes les cases vertes, le fermier à dreadlocks. Pas de pesticides, pas de labours, des sols pleins de matière organique et donc, de flotte. « Oui, mais ici, on ne fait rien sans les barrages des Cammazes et de la Galaube, et fin juillet, le gestionnaire nous avait prévenus quil ny avait plus assez deau pour nous et nous annonçait larrêt de lapprovisionnement. Finalement, Nicolas en a reçu, il a arrosé uniquement la nuit « j’ai économisé 30% d’eau ! », il n’a plus peur de finir ruiné par la mort sur pied de ses cultures. « Avec la nouvelle météo il n’y aura pas d’agriculture sans eau, il faudra retenir les surplus hivernaux de la période de » mousson « , pour tenir le coup dans les périodes de sécheresse. »

Pompes solaires

La sécheresse s’installe en France en même temps que la brutalité imprévisible des pluies. Donc, des retenues d’eau de pluie ? Ou remplies avec le surplus des nappes, des barrages et des rivières gonflées par les précipitations hivernales, tant que les besoins sont faibles ? Nicolas Cestrières en a besoin, mais il relève un bémol : l’irrigation fonctionne avec des pompes, qui coûtent en électricité. « Ma facture a déjà augmenté de 60% » L’eau a besoin de courant pour asperger les champs. Il faudrait des pompes solaires pour ne pas dépendre des marchés.

Mais pour quoi faire ? On connaît le refrain : si c’est pour arroser du maïs en plein été… Nicolas Cestrières est d’accord, il faut que ce soit du donnant-donnant. « On ne peut pas demander à irriguer si cest pour faire la même chose quavant. Dabord l’alimentation humaine directe, avec des cultures qui consomment le moins possible. » Là aussi on connaît le couplet. Du sorgho pour les vaches et pourquoi pas du mil pour les hommes, à la place du maïs. Et puis, surtout, plus de haies et moins de labours, car mieux un sol est couvert, moins il est sec. Jusqu’à l’exceptionnel de cet été qui va se banaliser.

En forêt aussi on s’interroge. Noémie Pousse est ingénieure à l’ONF. Elle forme ses collègues à la fragilité des sols. « Il ny a pas de réponse unique, on fait de la stratégie expérimentale. » En fait, personne ne sait vraiment comment adapter la forêt au temps qui va vite. « On fait des essais, ici on laisse faire après lincendie, là on plante, mais quoi ? Tout va dépendre du sol et de ce quon attend de la forêt. Les pins poussent vite, ont peu de besoins et sont adaptés à la sécheresse. » C’est-à-dire qu’ils ne transpirent plus pour se préserver, moyennant quoi, entre le sol et les épines, le tronc est sec, il peut s’enflammer. « Les feuillus comme les chênes continuent de transpirer, du coup, il y fait toujours plus frais dessous. Mais ils poussent lentement. » Il y a aussi le cèdre, qui s’enracine très profondément, mais pas partout. Ou encore le cyprès de l’Arizona, à l’essai chez nous sur les sols caillouteux. « Sa tolérance au déficit hydrique est très forte, mais on ne peut pas le mettre partout. » Comment décider, alors que les trois quarts de la forêt appartiennent à des propriétaires privés qui n’ont pas les moyens d’entretenir ?

Dans nos maisons, il y a des solutions qui ne demandent qu’une révolution culturelle pour être développées. La réutilisation des eaux usées par exemple. Celles des douches, des toilettes, du lavabo et des radiateurs, mais aussi les eaux de rejets des centrales d’épuration et des usines. Moins de 1 % de ces eaux sont réutilisées en France. C’est 8 % en Italie, 90 % en Israël. Une ressource gigantesque qu’on commence à considérer.

Bon sens ancestral

Dans le sud de la Corse par exemple. L’eau y est toujours rare. Elle vient du lac artificiel de l’Ospedale, Bonifacio et Porto-Vecchio en dépendent. Chaque année, sur les 3 millions de m3 du lac, entre 170 000 et 220 000 m3 d’eau était prélevés pour arroser… le golf de Spérone. La ville de Bonifacio a eu l’idée de remplacer une grande partie de ce volume un peu honteux par 150 000 m3 d’eau issus de la station de traitement, qui étaient auparavant envoyés directement en mer, où leur très faible teneur en sels dérangeait par ailleurs la vie de l’herbier de posidonie. Ailleurs, à l’école des Ponts, en Seine-et-Marne, Marine Legrand travaille pour le programme de recherches Ocapi sur la réutilisation des eaux des toilettes. Caca et pipi feraient d’excellents engrais. L’eau filtrée retournerait aux toilettes. Quand on sait que nos 500 litres d’urine annuels sont évacués par 10 000 litres d’eau potable en tirant la chasse… À Paris, Grenoble, Forcalquier, Bordeaux, la chercheuse se réjouit de voir de nouveaux immeubles prototypes qui réutilisent leurs eaux grises, dans des villes qui ouvrent leur voirie pour que l’eau de pluie aille aux sols et aux arbres plutôt que dans les égouts.

Maison, ville, agriculture, forêt : consommer le moins possible en prélevant au minimum dans la nature, l’adaptation, c’est comme arroser ses plantes avec l’eau de rinçage des légumes. Du bon sens de grand-mère.