J’ai essayé d’être bêtement objectif. Que vous dire d’autre ? Si : lisez la critique parue dans le Monde… à l’époque.
« « L’affaire » Séralini est en tous points désespérante. Que la publication du chercheur soit entachée d’erreurs méthodologiques (nombre de rats trop faible, souche de rats inadéquate, mauvais protocole statistique, interprétation hasardeuse des résultats, pas d’analyse des mycotoxines, dévastatrices chez le rat et habituelles dans le maïs, ni du bispéhnol A et des autres perturbateurs endocriniens émis par les cages en polycarbonate sont les critiques les plus fréquentes) n’est pas le problème : tout travail scientifique est critiquable, c’est ainsi que la science avance. Et puis, on peut reprocher aux tests toxicologiques de Monsanto les mêmes faiblesses.
Le premier hic est la façon dont le travail de M. Séralini a été publié. Avant même d’être lu par ses pairs et les journalistes spécialisés, il a fait l’objet d’une couverture et de longs développements dans un magazine grand public, sans contradiction ni remise en cause. Cette étrangeté déontologique, plus le fait d’avoir mis en exergue les photos de rats gravement cancérisés, à propos desquels on peut se demander pourquoi on les a laissés souffrir à ce point avant de les euthanasier, tout cela laisse penser que le but recherché était de marquer l’opinion par l’émotion. Ce qui a eu pour effet de rendre quasi inaudible les critiques faites sur le travail de M. Séralini.
L’autre problème est d’ordre journalistique. Comment des professionnels ont-ils pu accepter d’écrire sur un travail scientifique sans l’avoir lu, parce qu’ils n’en avaient pas le droit, parce que Séralini avait «dealé» ses résultats avec un seul magazine ? Comment les membres de la rédaction dudit magazine ont-ils pu, de fait, s’interdire d’enquêter car on ne critique pas une exclusivité ? Comment on-ils pu étendre à l’ensemble des OGM une publication qui ne concerne qu’une plante génétiquement modifiée (PGM) et un seul transgène ? Cette affaire n’a pas redoré le blason des journalistes. Ni celui de la science, qui, vis-à-vis de l’opinion, a tout l’air d’avoir été, en la personne de M. Séralini, instrumentalisée pour asseoir une opinion. Les critiques se sont fait accuser, en gros, d’être tous pourris, quand ceux-là accusaient le médiatique Séralini de ne pas savoir faire de science. Qui croire ? Personne, si même la science, se donnant en spectacle comme n’importe quelle autre institution, se révèle aussi peu sérieuse et honnête que la presse et la politique, à une époque où les Français, sondages après sondages, avouent ne plus avoir confiance en leurs institutions.
L’image qu’ont donnée les politiques dans cette affaire ne peut que renforcer les Français dans cette défiance. La France qui a mis des années à réagir aux drames de l’amiante ou du sang contaminé a réagi, quelques heures après la sortie en kiosque du Nouvel Obs, en demandant à l’Europe de surseoir à toute demande d’autorisation des OGM. La politique est sensée être l’art de prendre son temps pour bien mesurer les conséquences des décisions qui engagent la société vers son avenir. Elle a montré à cette occasion qu’elle s’agitait dans l’urgence. Ce n’est pas rassurant. Tout comme le constat désolant que, décidément, sur le dossier des OGM comme sur celui du nucléaire, des gaz de schiste ou des nanotechnologies, le débat est impossible : les critiques émises sur le travail de M. Séralini ont été immédiatement qualifiées de parti pris pro-OGM, en particulier par des politiques très tôt montés à la barricade (en particulier Dominique Voynet, Nathalie Kosciusko-Morizet, Corinne Lepage, Chantal Jouannot, François Grodsdidier), de même que les défenseurs de M. Séralini ont été rangés par les médias dans les rangs des anti-OGM. Pro- ou anti- OGM, il n’y a pas de place en France pour des opinions intermédiaires, nourries par les faits, juste les faits.
À tous ces titres – scientifique, déontologique, journalistique, politique –, l’affaire Séralini est un désastre qui a fait oublier le sujet principal : les OGM sont-ils dangereux ou non pour la santé humaine ? C’était sans doute le but recherché. Tant qu’on n’avance pas dans un sens ou un autre, le « combat » continue et justifie l’existence de la comédie humaine qui le mène. Au moins aura-t-on pu découvrir qu’en France, il n’existe pas d’indépendance parfaite de l’expertise parce que l’État n’en a pas – n’en a plus – les moyens financiers.
À l’heure où nous relisons ces épreuves, Corinne Lepage et Gilles-Éric Séralini ont porté plainte contre le journaliste de Marianne, Jean-Claude Jaillette, parce que ce dernier a rapporté dans un de ses papiers, très critiques contre la publication de M. Séralini, les propos d’un scientifique américain la qualifiant de «fraude». En France, les climatosceptiques nous avaient habitués à vouloir débattre du réchauffement climatique en public. Il faut croire qu’il s’agit maintenant de considérer la controverse scientifique comme une opinion qui pleut se plaider. Un désastre, décidément, que cette affaire. »
156 pages, document, Delachaux & Niestlé, sorti le 21 mars 2013.