Le sol du pédologue, la terre du paysan : comment faire dialoguer chercheur et paysan?

La terre ou les sols ?

WEBINAIRE C DANS L’SOL DU 29 juin 2022

La question est lancinante. Comment parler un même langage alors que tout le monde s’oppose ? Quand on est a priori de mondes culturels différents ? La question en appelle une autre : comment se parler d’égal à égal malgré une différence de pouvoir ? Ces interrogations, tous les organisateurs de débats publics, de médiations et autres réunions d’information se les posent. Parce qu’il ne suffit pas de mettre des gens autour d’une table pour que le dialogue s’installe par magie et qu’il soit constructif. C’est pourtant ce que l’on fait, histoire de se débarrasser d’obligations légales ou de faire montre d’empathie. Avec le résultat que l’on connaît : il n’y a jamais eu autant de débats en France et autant d’oppositions, par exemple sur les éoliennes. Parce que dans les causeries publiques, on n’a pas identifié les biais, afin de les éliminer.

Or, sur les sujets agricoles, ils sont nombreux. Il n’y a pas deux personnes qui ont le même avis sur le bio ou le glyphosate. Alors, vous pensez, sur le sol, cette grande boîte noire ! Chercheuse indépendante et consultante en matière de santé des sols, Lola Richelle a fait sa thèse à l’Université de Namur sur cette question, en Espagne. « Je suis arrivée dans la région de Cordoue avec la proposition de parler des sols, de l’évaluation de la terre, et on en a parlé tous ensemble, » sur un pied d’égalité. « Un de mes premiers gestes a été d’être sur le terrain avec les agriculteurs et les agricultrices. Ne pas venir avec mes propres connaissances, pour les écouter, » et se rendre compte que l’écriture et même… le verbal, n’est pas le canal le plus facile pour dialoguer. « J’ai trouvé qu’ancrer le dialogue dans la pratique était le plus efficace. »

Le sol, qu’est-ce que c’est pour vous ? C’est finalement quelque chose d’intime, qui procède de la vision de chacun, dans sa culture, son environnement familial et sociologique. « Le vocabulaire employé pour décrire le sol est de l’ordre de la sensibilité. Le toucher, la couleur, la façon dont la terre réagit à leurs pratiques – par exemple « c’est quand elle est à point qu’on peut rentrer dedans », et puis le vocabulaire lié à la chaleur – pour les paysans que j’ai rencontrés, il y a des terres froides et des terres chaudes. » Il y a des terres bonnes ou mauvaises, selon ce qu’elles font pousser. Une vision assez utilitariste, que l’on retrouve chez la plupart des paysans du monde. La preuve, celles et ceux qui ont fait l’objet de la thèse de Lola Richelle considèrent que le labour, très ancré dans leur quotidien, est associé à la notion de « propreté, importante notamment parce qu’il y a le regard des voisins. » Voilà un nom féminin que l’on pensait associé à l’agriculture intensive. Par contre, ces paysans espagnols associent au mot pesticide l’adjectif de poison « Au niveau des pratiques, c’est le renouvellement de la fertilité qui anime le travail des gens, l’apport de matières organiques. Alors, les pesticides… »

Lola Richelle a travaillé par période de trois mois durant trois années avec une quinzaine d’agriculteurs en conduite comparable au bio. « Je suis de formation agronome [à Combloux, également en Belgique], et en 5 ans, je n’étais jamais allée dans une ferme… Ce n’est pas surprenant : même au sein de l’université, on n’a pas la même approche des mêmes choses, on a invisibilisé les connaissances paysannes. La construction de la modernité occidentale est venue de la séparation de la théorie de la pratique, » qui est devenue l’ordre des choses à mesure de la puissance évidente de notre monde par rapport aux autres cultures. Pour autant, Lola Richelle n’est pas tombée par symétrie dans le piège de l’ésotérisme et du tiers-mondisme. Les paysans à part qu’elle a rencontré en Espagne, mais aussi aux Philippines n’ont pas raison sous prétexte qu’ils sont à part et développent une cosmologie naturaliste. « Ma conclusion est que si l’on veut avancer, il faut reconnaître en tant que telles les différentes formes de savoir et mettre en place les conditions sereines d’un dialogue pour construire un langage commun sur les sols et leur santé… Ça peut fonctionner, car on a produit là-bas, ensemble, une certaine vision des sols, liée à leurs pratiques, en partant de leurs gestes, de leurs connaissances à eux. » C’est finalement ce que fait Rhizobiòme depuis sa naissance.

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