C’est nouveau : des chroniques filmées pour Marianne

MarianneTv chronique bassines

Je suis très content et très fier : Natacha Polony et Aaron Fonvieille-Buchwald m’avaient demandé une série de chroniques pour le site MarianneTV, après réflexions et pilotes, on en est arrivé à ces « idées à la con », qui ont commencé leur vie lundi 14 février. Voici la première, sur les mégabassines.

En voici le texte, mais comme on dit dans les cabinets ministériels, « seul le prononcé fait foi » :

Cette semaine l’idée à la con, c’est la – très – grosse bassine.

Celles de Sainte-Soline, par exemple, vous savez, ces gros trous dans la terre des Deux-Sèvres, pour le remplissage desquels il s’agirait de pomper environ 6 millions de m3 dans la nappe phréatique.

Ces bassines, comme on dit, ont généré le traditionnel débat manichéen à la française entre anti (les gentils, les écolos) et pro (les méchants, les irriguant qui font rien que produire du vilain maïs).

Il y a même eu l’incontournable installation d’une ZAD, avec son corollaire, le rituel du combat contre les hordes barbares, les flics.

Entre les deux, il y avait le BRGM, une maison sérieuse.

Le Bureau des recherches géologiques et minières s’occupe des nappes, c’est-à-dire des eaux qu’on a sous nos fesses. Il a développé un modèle à destination des projets de « retenues de substitution », comme il faut dire quand on est bien élevé.

La coopérative agricole à l’origine du projet lui a demandé ce qu’il en pensait, au BRGM.

Eh bien pour l’été, le bureau a estimé que « le projet 2021 – [parce qu’il y en a eu plusieurs] – améliorerait sensiblement le niveau et le débit des cours d’eau, et même… le niveau des nappes…

Donc tout va bien, et même, tout irait mieux, car le BRGM estime finalement dans son rapport qu’y compris les si fragiles zones humides bénéficieraient de la situation nouvelle.

Mais.

Mais le BRGM n’a réfléchi que si, demain, tout sera comme aujourd’hui. Avec les mêmes productions, les mêmes autres usages de l’eau, les mêmes pluies, le même niveau de nappe.

Or, 2022 est passée par là.

Une canicule, et des nappes, qui depuis, se remplissent difficilement. Il pleut… peu.

Alors pourquoi creuser des grands trous vertueux si l’on n’est pas sûr de pouvoir les remplir ?

D’autant plus qu’il y a… l’évaporation.

Entre 5 et 60 % lit-on ici et là. Disons qu’un bon tiers de l’eau stockée – à l’air libre – risque de partir en vapeur, ce qui est beaucoup : le projet de Sainte-Soline a-t-il donc été dimensionné un tiers plus gros que les besoins, pour tenir compte de cette évaporation ? On ne sait pas.

S’il l’avait été, il en aurait été encore plus critiqué, car voilà de l’eau qui ne rejoindra pas les milieux naturels, où elle doit se trouver.

Sur les 9 % d’eau que l’agriculture prélève chaque année en France, 45 % sont réellement utilisés. C’est-à-dire que cette eau est captée par les plantes, et donc, ne peut pas imprégner les biotopes. Augmenter l’irrigation c’est mécaniquement diminuer l’eau qui reste dans le sol.

Or, la meilleure des grosses bassines se trouve sous nos pieds, c’est le sol. Peu labouré, travaillé par les racines, les champignons et plein de bestioles, couvert tout le long de l’année, le sol est plein de pores et de matières organiques, il capte le carbone et garde l’eau de pluie.

Pendant la sécheresse de 2022, les agriculteurs qui pratiquent la « conservation des sols » ont été moins touchés que les autres.

Toutefois, passer toute l’agriculture française en conservation des sols prendra du temps.

Alors, en attendant, pourquoi pas quelques bassines ?

Mais parce qu’elles sont perverses ! L’assurance qu’elles donnent n’incite pas à changer les mauvaises pratiques. Puisqu’on sait qu’il y a de l’eau, on fait comme d’habitude et si un jour ça ne suffit pas, on construira d’autres bassines. Partout dans le monde, cette boucle perverse a été vérifiée.

La bassine c’est un réflexe, c’est la course aux armements pour garder l’eau pour soi. Et en définitive, on manque toujours d’eau.

Cela dit, tout ça c’est bien joli, mais dire qu’il ne faut pas de bassines, c’est aussi bête que de dire qu’on ne peut rien produire sans irrigation.

Dans le Sud-Ouest, même les maraîchers les plus écolos n’envisagent plus de travailler sans irrigation. Même les gestionnaires des barrages dévoués à l’eau potable aimeraient de nouveaux barrages… compte tenu de l’imprévisibilité des pluies et de leur violence nouvelle.

Qu’est-ce qu’on fait ?

La construction des retenues d’eau devrait être la dernière solution quand on a déjà tout essayé, et pas pour faire des champs de maïs pour des vaches qui feraient mieux de brouter les pâtures, ni pour multiplier les piscines.

Des retenues oui, mais à l’échelle de la parcelle, de l’exploitation, pensées en fonction des besoins de tout le monde.

Sinon, ça restera une idée complètement conne.