Sainte-Soline, la Révolution pour un trou

Sainte-SOline Eau Thibaud Moritz AFP

Chronique (au second degré) d’un écolo écœuré.

J’ai tout lu, tout regardé et tout écouté. Presque. Maintenant, ma religion est faite : Sainte-Soline, c’est le nouveau Stalingrad, c’est le combat ultime que le bien livre contre le mal. Le Verdun des communs face aux accapareurs. Une lutte formidable conduite par de pacifiques familles en promenade (Mélenchon), venues remplir ces bassines de leurs paniers à pique-nique et de leurs poussettes afin de les empêcher de boire toute l’eau de la Terre. Et il a suffi, comme toujours, que les forces terribles de l’Ordre osent se déployer en masse (Tondelier), hideuses, en armure, très méchantes, assoiffées d’os brisés et de dents arrachées, pour que la Nature ne fasse tomber sur elles bonbonnes de gaz, haches et cocktails de Monsieur Molotov ; autant de démonstrations que la raison était bien du côté des défenseurs de l’eau. Les sept plaies de Sainte-Soline se sont abattues sur les soldats du mal, la lumière a désigné le peuple des gentils.

Elles n’ont certes pu éviter que des moines-soldats ne soient gravement blessés, toutefois, dans la lutte, des ennemis du bien ont aussi été cassés, et n’oubliez pas, amis de l’eau, soyez absous de toute culpabilité, que leur vie ne vaut rien. Quant aux combattants plongés dans le coma par la répression de la junte macronienne, ils sont déjà des héros, et espérons-le, ils seront bientôt des martyres (Plenel) si leur vie venait à rejoindre l’esprit des grands chênes, des rivières, de Lénine et de Marat. Pour la politique, un mort au combat, c’est bien, car ça fige. Demain, on le citera par son prénom sans l’avoir connu, on en fera un aimable écoanxieux, un Rémi Fraisse bis, on le transformera en une porte qu’on claquera à la figure de quiconque viendrait émettre une nuance sur la question de l’eau.

Soyez content, oui, ne soyez pas effrayé par la violence. Elle est du côté du Pouvoir qui en soit est une violence. Il nous parle mal, il impose des cadres où nous étouffons, comme la Justice, partiale, lente et coûteuse, aux mains des puissants, tellement désuète ; le Pouvoir, il n’a rien fait contre toutes les dérives angoissantes de la planète, il est allié au grand capital qui détruit, spolie, viole ! C’est lui, la haine ! Les chevaliers de l’eau n’ont fait que donner vie à cette violence d’État simplement faite de mots. D’ailleurs, nombre d’élus de gauche et écologistes, de journalistes et d’hydrologues le disent sur les plateaux télés. Ils le disent, oui, que la violence physique, au bout d’un moment, est compréhensible, qu’il faut l’étendre, ne pas la juger sévèrement. Pas la violence d’un flic, évidemment, dont la seule existence est une brutalité. Non, la bonne violence, la vengeance en cagoule.

Sainte-SOline Eau Thibaud Moritz AFP
TOPSHOT – Protestors surrounded by tear gas, clash with riot mobile gendarmes during a demonstration called by the collective « Bassines non merci », the environmental movement « Les Soulevements de la Terre » and the French trade union ‘Confederation paysanne’ to protest against the construction of a new water reserve for agricultural irrigation, in Sainte-Soline, central-western France, on March 25, 2023. More than 3,000 police officers and gendarmes have been mobilised and 1,500 « activists » are expected to take part in the demonstration, around Sainte-Soline. The new protest against the « bassines », a symbol of tensions over access to water, is taking place under thight surveillance on March 25, 2023 in the Deux-Sevres department. (Photo by Thibaud MORITZ / AFP)

Heureusement que nous les avons, ces grands intellectuels, qui savent les mots. Ils nous disent que la situation est grave, que tout est presque foutu, ils nous désignent depuis leur fauteuil les coupables, les ennemis du peuple, les agriculteurs, les industriels, les milliardaires, ils nous expliquent qu’à Sainte-Soline, personne n’avait été consulté, que l’on s’est réveillé, un matin, avec des gros trous dans la terre qui allaient boire son sang pour le seul bénéfice de quelques-uns. Ils nous parlent de guerre de l’eau (Batho, et tous les autres), c’est donc qu’il y a une guerre, qu’on peut la conduire, s’armer, frapper ! Les mots sont importants, ils sont des motivations.

Oui, heureusement qu’ils sont là pour tous ces jeunes à qui ils donnent une raison d’espérer. Ils n’ont jamais pris beaucoup de risques, n’ont rien à perdre, ils n’ont jamais connu de bagarre, n’ont d’expérience de la violence que la lecture des récits édifiants écrits par eux-mêmes, ces grands frustrés de l’action armée – mais on les comprend, un bourgeois de droite comme de gauche ne peut aller au feu, sa place est à la réflexion et à guider le peuple – qui nous apprennent que la violence tétanise le Pouvoir, ce qui permet à la masse formidable des gens de le chasser, et que tout combat passe par des morts et des blessés. Le combat du bien. Que le prolo aille joyeux face au fusil porté par son symétrique, le flic triste, encadré par la milice des quelques rejetons bien nés, formés à la dialectique et à bien repérer qui est cet autre à haïr, qui se reconnaissent à leurs habits noirs et leur passion pour les boules de pétanque.

Le but sera bientôt atteint. Ne surtout pas parler d’eau autrement qu’en généralités. Ni de rien d’autre. S’en servir pour maintenir un état de guerre permanent entre les gens du bien et eux. Le manichéisme glacera pour un moment les deux camps, ceux qui sont pour, eux, ceux qui sont contre, nous les heureux illuminés par la grâce. Celui-là, les plateaux télés l’aiment bien, car il fait des débats faciles à mener et génère des petites phrases sur les réseaux sociaux. Celui-là, il aide à étouffer les égarés qui pensent encore à la nuance, aux faits, à la science, à la pondération, à la contradiction, au respect des usages, des règles, du droit, de la Justice, de l’autre. Dans le no man’s land tu ne vivras pas longtemps, toi pauvre modéré membre d’une association écolo de terrain, d’une coopérative, d’un parc régional, toi la chargée de mission d’une collectivité, toi l’élu local, toi l’ingénieure territoriale, toi l’agriculteur, toi l’industriel, vous tous et toutes qui, dans les syndicats de rivière, les commissions locales, les comités de bassin discutez depuis des années pour faire avancer cette démocratie qu’est l’eau. Le modéré est un lâche et un traître, car il n’a pas choisi son camp. Ne surtout pas parler de ce qui améliore la situation de l’eau, car il faut en rester à l’idée que la guerre est là pour longtemps. La démocratie aussi est une lâche, car elle ronge la planète par la lenteur de ses routines.

Tout cela est une évolution naturelle. Comment exister autrement dans une société répartie entre opprimés et angoissés qui a élu un ado ayant épousé sa mère et placé face à lui un admirateur des dictateurs à grosses moustaches ?

Tout ceci profite évidemment à l’héritière d’admirateurs d’autres dictatures, dont les bottes étaient peut-être mieux cirées. Mais après tout… qu’elle prenne le pouvoir, le camp du bien n’en veut pas, au contraire, elle au pouvoir, il aura enfin atteint le Saint-Graal : devenir résistant. Rejouer 1940. L’eau, elle, aura continué de couler ; ou pas.